Il y a peu, je me suis rendue au Ciné Léon. Il s'agit d'une projection de film en libre accès, organisée chaque mois par l'association de quartier de la rue Léon Frost dans les locaux de la MJC voisine. Elle est suivie d'un débat et d'une auberge espagnole. Je suis loin d'habiter le quartier et je ne connaissait donc pas l'événement, même s'il s'agissait là de sa 33ème édition. Si j'ai appris l'existence du Ciné Léon aujourd'hui, c'est en grande partie à cause du thème des films de ce mois de décembre. Il s'agissait en effet de deux moyens métrages documentaires, centrés sur les boucanes (usines de transformation de poissons) de Fécamp, et sur leurs ouvrières. Des ouvrières qui, pour se distraire d'un travail répétitif et arasant, discutent beaucoup et chantent. Pour parler de leurs chants, une des membres de l'association La Loure étaient présente au côté du réalisateur du deuxième film lors du débat.
Si vous suivez un peu le blog, vous savez donc ce qui m'a amené là-bas, en dehors du fait que j'apprécie les documentaires en règle générale.
Les deux films présentés traitaient du même sujet mais avec plus de 15 ans d'écart et de façon très différente.
Le premier, La Boucane, est un document d'immersion dans lequel Jean Gaumy, un photographe reconnu dont c'était là le premier film, nous emmène au coeur du travail des ateliers. S'il n'explique rien, ou quasiment rien de ce que l'on voit, la persistance et l'acuité de son regard à travers la caméra nous plonge sans concession dans les conditions de travail très dures et dans l'intimité des femmes qu'il filme. Un film très intense, et une innovation pour l'époque puisqu'il s'agit du premier documentaire donnant à voir le travail ingrat de l'usine (il est tourné en 1984). Mais si ce regard très artistique touche profondément, il pose aussi de nombreuses questions au spectateur qu'il laisse sans réponses.
Heureusement cette première approche est impeccablement complété par le second film de la projection, Les femmes aux poissons, réalisé par Alexandre Lefrançois. Bien plus classique du point de vue de sa construction, ce documentaire fut tourné en 2000 lors de la fête du hareng à Fécamp. Il n'existe en effet plus aucune saurisserie traditionnelle en France depuis le milieu des années 90, les "fêtes du hareng", sont donc l'occasion pour les associations d'anciens du métier de faire revivre, une fois l'an, le savoir faire des boucanes. C'est cette occasion qu'à choisi le réalisateur pour enregistrer la parole des ouvriers, et surtout des ouvrières. Et c'est cette parole enfin libérée, racontant les dures vies de ces hommes et de ces femmes de rien, qui rends ce documentaire tout aussi touchant que son ainé, bien que d'une façon totalement différente. Ceux d'entre vous qui, comme-moi, ont entendu dans la bouche de leur grands-parents ou de leurs parents même sortir la terrible phrase "on n'était pas malheureux, on n'a jamais eu faim" savent probablement un peu à l'avance la dureté des vies qu'elle recouvre. C'est ce genre de vie qui s'exprime ici, d'une façon claire et vive que l'on entends bien peu souvent.
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