Le Bal Paré, de Jean-Antoine Duclos, d'après Augustin de Saint-Saubin,
gravure de 1774 où l'on voit danser une "Allemande"
danse au cours de laquelle les héros du roman échangent leur premier regard.
Je vous propose de compléter et de finir le cycle d'articles sur la romance par l'interview de l'auteur du livre dont j'ai fait la critique dans
mon article précédent : Éléonore Fernaye
Bonjour Éléonore, Scandaleuse Élisabeth est votre premier
roman, qu’est-ce qui vous a amené à devenir écrivain, et qu’est-ce qui vous a
amené à choisir ce genre particulier qu’est la romance ?
J’ai toujours aimé et voulu écrire mais, pendant longtemps, cette envie
est restée dans un coin de ma tête. Dans le même temps, la romance est un genre
que j’affectionne particulièrement, notamment la romance historique. Je me
disais qu’il pouvait y avoir des choses intéressantes à raconter d’un point de
vue plus « français », et c’est ainsi que j’ai fini par me lancer.
On l’a vu la romance est un
genre particulièrement rigide, quelle est votre méthode pour créer un roman
original sans sortir de la structure imposée ? Avez-vous eu la tentation
de « casser » cette structure et si oui pourquoi avoir finalement
décidé de ne pas le faire ?
Je ne pense pas que la romance soit « particulièrement
rigide ». Pour moi, c’est un genre fait de règles tacites et acceptées de
tous, les lecteurs comme l’auteur, mais ces règles peuvent être contournées ou
détournées à l’envi. Personnellement, j’ai choisi d’axer l’originalité de mon
roman sur la période et les situations, plutôt que sur une construction
« iconoclaste ».
J’avoue que, si j’ai eu envie de créer quelque chose d’un peu original,
j’ai préféré me fier à une trame « classique » qui me permettrait de
prendre mes marques dans ce premier roman. Mais il est possible que j’évolue à
mesure que j’écrirai d’autres livres.
Le lieu et l’époque que vous
avez choisis sont des options très rares dans la romance, quelles étaient les
raisons de votre choix ? Notamment, pourquoi avoir choisi Paris plutôt que
Versailles qui était le lieu de résidence d’une grande partie des nobles ?
J’ai précisément choisi cette période parce qu’elle est très peu
exploitée dans la romance historique, alors qu’elle est, selon moi, très
propice aux intrigues et aux passions, et qu’en plus elle a fait naître tout un
imaginaire, ne serait-ce qu’autour de Marie-Antoinette, par exemple.
Contrairement à l’idée reçue, après le règne de Louis XIV, la cour
s’est réinstallée à Paris et, en dépit du retour à Versailles ordonné par Louis
XV et Louis XVI, la vie culturelle et sociale est restée dans la capitale. Sous
Louis XVI, les nobles préféraient faire deux heures de carrosse pour dormir à
Paris, sous prétexte que Versailles était d’un ennui mortel ! En fait, n’y
résidaient à plein temps que la famille royale et quelques chanceux titulaires
d’une charge à la cour. Enfin, la vie là-bas était hors de prix et, compte tenu
de l’état financier de la famille de l’héroïne, le choix de demeurer à Paris me
paraissait plus légitime.
On sent que vous avez une
grande connaissance de l’époque dans laquelle vous situez l’action avez-vous
fait beaucoup de recherches préalables spécialement pour le livre ou est-ce une
époque qui vous intéresse depuis de nombreuses années ? Par ailleurs
comment menez-vous ce travail de recherche ?
Je ne m’estime pas grande connaisseuse du XVIIIème siècle, je suis plus
calée sur le siècle précédent – en revanche, il est vrai que j’ai une passion
pour Versailles. Du coup, j’ai dû effectuer pas mal de recherches, que ce soit
pour vérifier des événements marquants, comme les dates de présence de Benjamin
Franklin en France, ou des détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui
me tenaient à cœur (le temps de trajet entre deux villes, l’organisation
spatiale de Paris à l’époque…).
Comme j’ai étudié l’histoire, j’avais quelques manuels sous le coude et
j’ai pu, à partir de là, me constituer une bibliographie, même si je
m’inquiétais des détails historiques à mesure que j’écrivais l’histoire. J’ai
également beaucoup consulté d’œuvres picturales (en particulier des tableaux)
pour avoir une idée précise de l’habillement, ou des plans d’hôtels
particuliers pour savoir me repérer ! Ensuite, nous avons la chance
aujourd’hui d’avoir Internet, et des passionnés mettent parfois en ligne des
choses qui m’ont été extraordinairement utiles.
L’intégration des informations
historiques est un des points très réussi du roman, quelle est votre méthode
pour distiller les informations historique et faire sentir le contexte sans
étouffer le lecteur et ralentir la progression du récit ?
Je suis heureuse de le savoir, pour être honnête, j’avais parfois peur
de noyer le lecteur ! En fait, je me suis dit qu’un simple rappel pouvait
être parfois plus intéressant que des détails factuels qui n’apportent pas
forcément beaucoup à l’histoire. Néanmoins, j’avoue que je n’ai pas de méthode,
je l’ai fait à l’instinct.
La situation des femmes à
l’époque ne semble guère enviable, est-ce difficile de créer un personnage
principal féminin fort dans un contexte où les femmes n’ont, semble-t-il,
aucune autonomie possible à moins d’être veuve ?
Il est possible que j’aie noirci le tableau pour rendre la rébellion
d’Elisabeth plus criante, mais il est vrai qu’une jeune fille célibataire avait
très peu de libertés, à moins de choisir d’entrer au couvent (et encore…). En
revanche, une femme mariée pouvait sortir, tenir salon, recevoir du monde… en
France, et notamment à Paris, ce sont les femmes qui se trouvaient au cœur de
la vie intellectuelle ; disons qu’elles n’avaient sans doute pas les mêmes
libertés que nous aujourd’hui, mais qu’elles apprenaient à jouer et à profiter
au maximum de celles qu’elles pouvaient trouver dans leur quotidien.
Créer un personnage féminin fort était pour moi une condition sine qua non à l’écriture de ce roman –
il aurait été, je pense, beaucoup moins intéressant de suivre les aventures
d’une jeune fille insipide. Du coup, l’inspiration m’est venue assez
facilement, même si j’ai eu peur tout du long de frôler la caricature.
Le roman se déroule en 1778, à
une petite dizaine d’année à peine de la révolution française, comptez-vous
dans les prochains tomes faire avancer le récit jusqu'à celle-ci ? Si oui
saura-t-on ce qu’il va advenir des personnages de Scandaleuse Élisabeth face à ce bouleversement, je pense notamment
aux parents de l’héroïne et à sa meilleure amie, qui sont nobles et risquent de
se retrouver dans une situation dangereuse ?
J’ai en tête deux tomes supplémentaires, un pour le frère aîné et un
pour la sœur cadette d’Elisabeth et, oui, j’ai l’intention d’avancer au fur et
à mesure dans la chronologie, jusqu’à rattraper la Révolution. Et comme, si
j’étais lectrice, je m’angoisserais aussi pour les héros et leur entourage,
j’essaierai d’aborder leur devenir pendant cette période troublée.
Merci beaucoup à Éléonore pour ces réponses instructives.